
31 octobre - La mission comme désir de propager l’amour de Dieu
A la fin de ce parcours, il est intéressant d’articuler le lancement de ce qui va devenir l’Œuvre de la Propagation de la Foi (1822) au Rosaire vivant (1826). La première est conçue comme un réseau de soutien spirituel et financier aux missions catholiques ad gentes. La seconde apparaît davantage comme un réseau de prière pour la régénération de la foi, là même où les liens sont profonds. (Voir Chantal Paisant, « Le Rosaire vivant de Pauline ou la mission comme Amour d’extension », dans Documents Épiscopat n°6/2013 sur Pauline Marie Jaricot. Une œuvre d’amour, publié par le Secrétariat général de la Conférence des Évêques de France, p. 23-30, en particulier p. 23). Ces deux œuvres portent la marque du génie de Pauline, enracinée dans l’amour de Jésus avec une vision universelle de l’Église. Comme l’Œuvre de la Propagation de la Foi, le Rosaire vivant va jouer un rôle considérable dans le soutien spirituel et le développement des missions au XIXe siècle.
Pauline s’est mobilisée pour récolter le « sou hebdomadaire » pour les missions, après avoir entendu la demande de soutien des Missions Étrangères de Paris, transmise par son frère Philéas. Elle rallie les ouvrières avec lesquelles elle avait déjà créé l’association des « Réparatrices du cœur de Jésus méconnu et méprisé », vouée à des œuvres de prière et de charité. Elle invente donc son fameux système décimal qui permet d’étendre son réseau, de façon extraordinaire.
Le système marche tellement bien que deux ans plus tard il ressemble près de 1000 associé(e)s. Il fournira ainsi, au moment de la création officielle de l’Œuvre de la Propagation de la Foi, la base du réseau des donateurs pour les missions de l’Asie et de l’Amérique. Bientôt, ce sera les missionnaires du monde entier qui vont bénéficier du soutien spirituel et financier des œuvres de Propagation de la Foi et du Rosaire vivant. Pauline a l’art d’inventer la réponse adaptée aux besoins de son temps. Elle a su mettre sa capacité de mobilisation sociale et son sens de l’organisation au service de l’Église et de sa mission universelle de l’annonce de l’Évangile. Face à « l’épidémie générale de l’impiété », elle a su trouver un remède spirituel contre ce qu’elle appelle nouvelle « invasion spirituelle » qui menace la société. Non seulement la dévotion ne va plus être l’affaire de quelques personnes qui tentent de la vivre en privée, mais elle va devenir populaire.
Les petites unités solidaires, non plus sur la base de dix, comme pour l’œuvre de la Propagation de la Foi, mais de quinze, animée par une « zélatrice », vont se multiplier. Pauline va comparer ses ami(e)s du Rosaire vivant à de faibles et « petites fourmis du bon Dieu » (Pauline Jaricot, Le Rosaire vivant, op. cit., p.194 et 197) qui, attirées par la douceur de l’air, sortent de leur retraite.
« Eh bien ! puisque nous pensons avec raison que nous sommes des êtres bien chétifs, prenons pour point de comparaison une de ces petites fourmis, tâchons d’être humbles et petites comme elles, en notre estime, aux pieds du Roi du ciel et de la terre. A mon avis, l’acte le plus excellent sera d’adorer notre Créateur et de nous soumettre au souverain domaine de sa sainte volonté. Nous lui dirons : Seigneur, pour manifester la gloire de votre miséricorde, daignez du haut du ciel où vous habitez, abaisser vos regards sur ces petites fourmis intelligentes, que votre toute-puissance a créées ! Prenez-les dans votre main pour leur inspirer une nouvelle vie par votre souffle vivifiant ; et puis, mon Dieu, si après cela vous dites : petites fourmis, transportez cette montagne, nous ne dirons plus : cela n’est pas possible, sachant que vous ne sauriez, Seigneur, commander rien d’impossible, donc ce que nous ne pourrons faire, nous devons croire que vous le ferez. » (Pauline Jaricot, Le Rosaire vivant, op. cit., p. 194 ; voir p.197).
Méditons quelques lignes écrites par Pauline Jaricot sur Pâques, joie et gloire, mais aussi sur la sainte Trinité. « Seigneur, votre victoire est notre propre héritage […] Ah ! dans ce jour de votre résurrection, venez visiter vos enfants captifs ; voyez la terre dans sa désolation ; voyez les peuples séduits, infectés par la pestilence des fausses doctrines ; voyez les générations entraînées par le torrent des mauvais exemples… Voyez vos amis, vos enfants découragés, liés par je ne sais quelle impuissance ; voyez la terre couverte des ombres de la mort. Ô Lumière divine ! soulevez cette pierre qui semble tenir captifs, dans le tombeau du péché, la plupart de vos pauvres créatures ; […] triomphez pour chacune des âmes que vous avez conquises par votre mort, et rendez-les libres par votre résurrection. Oui, ô mon Dieu, le mystère de votre Résurrection est aussi puissant, aussi plein de grâces, de force et de mérites qu’il l’a été dans le moment où il s’est accompli. Appliquez donc à notre malheureux siècle et faites sentir, d’un bout du monde à l’autre, l’effet de votre glorieuse Résurrection. Oubliez nos iniquités et ne vous souvenez plus de nos offenses. Secouez à la fois toutes nos chaînes ; brisez tous les fers des captifs ; renouvelez le monde et confondez, à jamais, l’empire de Satan. » (Pauline Jaricot, Le Rosaire vivant, Paris, Lethielleux, 2011, p. 233-234).
Terminons ce mois de méditation avec Pauline Marie Jaricot en lisant d’abord un extrait de sa méditation sur la Trinité. « Dans le cours du mois de Marie, se célèbre encore, cette année, la fête de la Très adorable Trinité, fin dernière de toutes nos solennités ; et celle du très Saint Sacrement dans lequel se trouvent résumés tous les mystères de la charité d’un Dieu fait homme. Au milieu de la moisson abondante de grâce que nous offre à recueillir ce beau mois de Marie, l’on ne peut se défendre d’une préoccupation qui émeut jusqu’au fond de l’âme. Dieu, devant qui mille ans sont comme un jour, s’est pressé, ce semble, de réunir dans un jour, non de douze heures mais de douze années qui viennent de s’écouler, toutes les merveilles qu’il a opérées pour son peuple, depuis plus de dix huit siècles… Et c’est dans le temps où les iniquités de la terre semblaient avoir plus que comblé la mesure, que Dieu, oui, disons-le, à la gloire de sa miséricorde infinie, vient opposer à la multitude des pécheurs qui l’offensent, au lieu d’un déploiement de Justice, une surabondance de grâces et de douceur. » (Pauline Jaricot, Le Rosaire vivant, Paris, Lethielleux, 2011, p. 235-236).
Notons ensuite la réflexion de Paul VI, en 1972, à l’occasion de la seconde Conférence internationale missionnaire qui se tint à Lyon pour célébrer le 150e anniversaire de la fondation de l’œuvre de la Propagation de la Foi. En parlant de Pauline, le pape écrit « Plus que d’autres, elle devait rencontrer, accepter et dépasser dans l’amour une somme de contestations, d’échecs, d’humiliations, d’abandons, qui donnèrent à son œuvre la marque de la croix et sa fécondité mystérieuse…La semence, modestement jetée en terre par Marie Pauline, est devenue un grand arbre. L’œuvre de la Propagation de la Foi… Dans le sillage de Marie Pauline Jaricot, toute l’Église est invitée à cet engagement concret. » (Georges Naïdenoff, Pauline Jaricot, op. cit, p. 102.)
Enfin, notons ceci : dès que Pauline se convertit et décide de prendre sa vie en main ou de l’’abandonner dans les mains de Dieu, elle opte pour un amour orienté vers l’engagement missionnaire. Elle écrit : « Le désir immense d’aimer, la soif dévorante de posséder mon Dieu me faisait désirer aussi d’agir pour sa gloire. Je voulais contribuer à la gloire de l’Église. Je n’avais jamais ressenti d’attrait pour la vie des religieuses. J’allais voir les cérémonies de prise d’habit : une force irrésistible m’entraînait avec joie hors de leur saint asile et semblait me crier malgré moi : ce n’est pas là que tu dois te consacrer à Jésus-Christ. » (Georges Naïdenoff, Pauline Jaricot, op. cit., p. 39)
Pour Pauline, seul compte le cri intérieur d’amour, la prière durant laquelle le chrétien unit son cœur par l’amour aux dispositions admirables des sacrés-cœurs, les cœurs de Jésus et de Marie. Cette direction d’intention nous apprend peu à peu à faire nos actions en union avec Jésus et Marie. Nous sommes invités à la suite de Pauline Marie Jaricot à supplier avec instance Jésus et Marie de jeter sur l’humanité des regards d’amour qui « réveillent les cœurs les plus endurcis et ressuscitent les âmes les plus tristement mortes. » (Voir Chantal Paisant, « Le Rosaire vivant de Pauline ou la mission comme Amour d’extension », dans Documents Épiscopat n°6/2013 sur Pauline Marie Jaricot. op. cit., p. 29) Nous sommes invités à aimer et à propager l’amour de Dieu jusqu’au bout de la terre, soit « une réunion de forces que nos cœurs se prêtent mutuellement pour aimer plus parfaitement ceux que Dieu a créés à sa ressemblance, rachetés comme nous de son précieux sang » (Règlement du Rosaire vivant, 1829 ; voir Chantal Paisant, « Le Rosaire vivant de Pauline ou la mission comme Amour d’extension », dans Documents Épiscopat n°6/2013 sur Pauline Marie Jaricot, op. cit., p. 27).