Père Alessandro Brai, missionnaire à Bangkok

24 mars 2021

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Le Père Alessandro Brai est missionnaire xavérien originaire de Sardaigne, et plus précisément de Palmas Arborea en province d'Oristano, qui vit et œuvre depuis quelques années en Thaïlande.

 

Père Brai, depuis quand vous trouvez-vous à Bangkok et quel est votre engagement principal ? 

Je me trouve à Bangkok depuis cinq ans environ. Je suis arrivé en Thaïlande voici quelques 8 ans. Après l'étude de la langue pendant un an, j'ai suivi les jeunes travailleurs des usines et depuis cinq ans je me trouve dans le plus grand bidonville de la capitale, lequel comprend 44 quartiers grands comme 44 petites villes. C'est une ville dans la ville. Nous ne sommes pas loin des grands hôtels et des gratte-ciels du centre ville... Mon engagement principal ici consiste à suivre, avec d'autres confrères, la formation humaine des jeunes mais aussi des adultes. Notre mission se traduit par des visites aux malades et aux pauvres du bidonville. Par ailleurs, nous rendons visite également aux détenus dans les prisons et assurons une formation humaine et missionnaire dans les centres qui accueillent les jeunes.

 

Quels sont les difficultés, non seulement matérielles, auxquelles vous êtes confronté au quotidien ?

Nous nous trouvons dans un bidonville. Nous avons décidé de demeurer aux côtés de ses habitants et nous avons cherché par suite à nous installer à l'intérieur du bidonville. Il existe donc des inconforts que nous pouvons facilement imaginer : cela n'est pas la même chose que de se trouver dans une structure pensée pour des religieux ou des prêtres avec tous les conforts et bien d'autres commodités qui sont parfois nécessaires si nous pensons aux prêtres âgés ou à des prêtres qui doivent prêter des services particuliers. Notre priorité étant les pauvres du bidonville, nous avons fait le choix de nous établir dans une structure simple. Pour le missionnaire, la première difficulté est de nature linguistique et consiste aussi dans l'insertion au sein de la culture. Vous pourriez me dire : vous êtes ici en Thaïlande depuis plus de huit ans et vous devriez donc avoir déjà surmonté le problème... eh bien non parce que la langue et la culture du lieu sont complètement opposées à notre logique et à notre manière de penser. Dès lors, même si vous arrivez à parler la langue, il n'est pas dit que cela vous rende compréhensible. La culture thaïlandaise est très éloignée de la nôtre ce qui fait que parfois se créent des gênes et des incompréhensions surtout lorsqu'il s'agit d'aider les personnes à affronter les difficultés. Le malaise le plus important que nous affrontons ici consiste dans la difficulté à changer la réalité pour bien des motifs : la pauvreté, parfois la misère, le problème de la corruption, de la drogue, de la prostitution et une importante souffrance au niveau familial ce qui fait que, même si des progrès sont visibles en ce qui concerne l'aide aux jeunes, aux enfants, aux familles, nous nous trouvons parfois impuissants face à des situations qu'il n'est pas possible de modifier immédiatement mais qui requièrent du temps. Une autre difficulté à laquelle nous sommes confrontés est la drogue qui rend notre action beaucoup plus compliquée. Nombreux sont ceux qui pensent que grâce à la drogue il est possible de résoudre les difficultés plus facilement et de faire de l'argent plus aisément. Cependant, à la fin, cette voie conduit à un tunnel duquel il est difficile de sortir. Telles sont les difficultés quotidiennes à côté des insuccès que nous devons accepter face aux situations d'adolescents et de jeunes que nous voulons aider.

 

Que se passe-t-il en ce qui concerne la pandémie dans les lieux où vous œuvrez ? Pouvez-vous nous raconter quelle est la situation actuelle de la population ?

 

Le virus a frappé l'ensemble de la société dans ses différentes strates : les pauvres, la strate moyenne et les riches. Cependant ceux qui paient le plus lourd tribut sont les pauvres. Nous aidions déjà au niveau matériel de nombreuses personnes mais avec le Covid, nous avons dû mieux nous équiper parce que les personnes sont sans travail et sans nourriture depuis des mois et que cette situation perdurera encore nous ne savons pas pour combien de temps encore. Les plus défavorisés dans le cadre de la pandémie sont toujours les derniers, les plus pauvres, ceux qui étaient déjà en difficulté. Grâce à l'aide de nombreux catholiques thaïlandais et pas seulement, nous organisons une distribution de nourriture, de masques de protection et d'aides pour les pauvres, les malades et les personnes isolées.

 

Que signifie pour vous être missionnaire ? Quel est votre avis sur les défis à relever par la Missio ad gentes ?

 

C'est une bonne question... Je pense qu'aujourd'hui plus que jamais, être missionnaires signifie partager au quotidien la vie avec d'autres. Nous ne quittons pas notre pays pour aller enseigner quelque chose à d'autres mais nous partons pour partager notre vie et naturellement ce faisant nous partageons ce qui est le plus important dans notre vie, à savoir la foi en Jésus-Christ. Comment partageons-nous ? Tel est le défi d'aujourd'hui... Nous le faisons au travers du temps que nous donnons à la population. Nous ne sommes ni experts ni hommes-à-tout-faire. Nous sommes des personnes comme les autres mais probablement ce qui nous rend missionnaires est le fait que nous dédions notre temps aux personnes que nous servons indépendamment de leur religion, de leur culture et de leur statut social. Nous vivons avec elles, en leur compagnie, en cherchant à valoriser le beau et le bon que nous trouvons chez les personnes avec lesquelles nous vivons. Il existe une immensité de choses belles et positives chez les personnes qui nous accueillent, même au sein du bidonville, où dans un premier temps ce qui suscite l'attention est certainement le côté négatif. Clairement, et ceci nous vient de l'Evangile, nous devons privilégier ceux qui sont privilégiés par l'Evangile, à savoir les pauvres et les derniers, parce que c'est au travers de ce témoignage que nous pouvons annoncer l'amour de Jésus pour tous et par suite pour les plus humbles. Je crois qu'il s'agit du plus grand défi du missionnaire aujourd’hui : venir avec l'intention de partager, de vivre avec la population et par suite de partager sa propre foi, ce qui est l'aspect principal. En langue thaïlandaise, il existe un mot pour indiquer le missionnaire – même si parfois est employé le terme anglais missionary. Il s'agit d'un mot qui signifie ambassadeur de la religion, de la foi, des valeurs. Cette manière de traduire le mot missionnaire me plaît beaucoup parce qu'en un certain sens, nous nous faisons responsables même si personne ne nous donne cette responsabilité, comme des ambassadeurs, d'une mission qui nous est confiée par le Christ, la même mission qu'Il a reçu du Père et qu'Il a ensuite transmis à Ses disciples... et qui est arrivée jusqu'à nous, ce qui fait que nous nous sentons responsables de cette mission, même si elle n'est pas nôtre, n'appartient ni à moi, ni à ma Congrégation mais à l'Eglise. Je crois par suite que le missionnaire est ceci : se sentir responsable de l'annonce que nous sommes appelés à faire dans d'autres parties du monde au travers du partage de la vie. Le Seigneur nous indiquera, dans les réalités concrètes de la vie, les voies que nous devons prendre : cela peut être comme nous dans les bidonvilles ou comme d'autres dans les villages ou pour d'autres encore dans l'enseignement scolaire. Tous cependant ont pour but d’être témoins de l'amour de Dieu. En repensant à l'Encyclique du Pape « Omnes fratres », un défi actuel qui nous est lancé à nous, missionnaires, est celui de créer la fraternité, d'abattre les murs qui sont à l'origine de la division et empêchent un rapport de fraternité. Devenir des constructeurs de fraternité dans laquelle nous nous trouvons surtout dans les diversités, par suite, la capacité à créer des ponts et à abattre les murs afin de créer cette fraternité dont parle le Pape. Un autre défi est lié à la mondialisation... Dans le cadre de cette réalité également, qui est en majorité bouddhiste, nous le constatons chaque jour. C'est pour nous un grand défi, en tant qu'étrangers mais justement parce que nous sommes étrangers, nous disposons parfois de l'avantage qui naît de la confrontation de mondes différents, de la collaboration réciproque et du désir commun de grandir. Un défi ultérieur que je considère particulièrement actuel est lié à l'égocentrisme. Au sein de la société thaïlandaise également, comme probablement dans toutes les autres sociétés, la personne est portée à se concentrer toujours plus sur elle-même. L'ego constitue le centre de tout ce qui rend difficile la fraternité et les relations avec les autres. Le défi lancé au missionnaire au travers de la Parole de Dieu vécue au quotidien, consiste à aider les personnes à sortir de leur moi propre pour aller à la rencontre des autres dans un esprit évangélique.