20 octobre - Pauline et le Curé d’Ars (8 mai 1786 - 4 août 1859)

20 octobre 2021

Il est possible de retracer les liens entre Jean-Marie-Baptiste Vianney, le Curé d’Ars, et Pauline Marie Jaricot, en retenant quelques épisodes de leurs vies qu’une prédestination semble avoir mêlées l’une à l’autre par un jeu d’influence réciproques. Certes, il est impossible de résumer tout ce qui liait ces deux personnages hors du commun et comment ils ont influencé leurs contemporains en se mettant au service d’eux.

L’une des rencontres avec « Monsieur Vianney » qui a marqué Pauline, c’est quand il est venu dire « Mademoiselle, les pauvres ont faim et je viens pour mes pauvres. Pauline sort et revient quelques instants après portant une enveloppe cachetée qu’elle remet au vicaire. La jeune fille, comme si elle eût pressenti ses épreuves futures, se sent attirée doucement par le regard plein de bonté du prêtre… Déjà, germe en elle une discrète sympathie pour cet homme qui ne vit plus que pour les autres. Ainsi dans la vieille demeure des Jaricot, pour la première fois le jeune vicaire d’Ecully rencontre Pauline. » (Jean Barbier, Le Curé d’Ars et Pauline Jaricot, Lyon, Ed. & Imprimeries du Sud-Est, 1952).

Quand Jean-Marie Vianney reçoit sa nomination comme curé d’Ars-en-Dombes, on l’avertit des difficultés qu’il va rencontrer : « Mais, vous savez, mon pauvre Vianney, c’est une paroisse bien déshéritée. On n’y aime pas le Bon Dieu. Vous aurez du fil à retordre, et puis c’est une paroisse sans ressources, 500 francs par an seulement. » La réponse est claire : « M. Courbon, [le vicaire général] c’est trop d’honneur pour moi. C’est tout ce que je rêvais. On leur fera aimer le Bon Dieu. Quant à l’argent… j’ai toujours préféré la pauvreté. Je serai dans mon élément. » (Jean Barbier, Le Curé d’Ars et Pauline Jaricot, op. cit., p. 30). Une fois à Ars, Jean-Marie Vienney va passer beaucoup de temps à l’église, en prière devant le tabernacle, en particulier dans le silence de la nuit pour prier pour les pécheurs : « Mon Dieu, je consens à souffrir, pendant cent ans, les douleurs les plus aiguë, pourvu qu’ils se convertissent » (Jean Barbier, Le Curé d’Ars et Pauline Jaricot, op. cit., p. 36). Il s’en prend aux danses, aux cabarets et tout ce qui peut pousser ses paroissiens à s’éloigner de Jésus-Christ. « Pour mettre le démon en déroute, il faut porter la pénitence dans le boire et le manger. Il simplifie ses repas, fait cuire lui-même dans sa marmite des pommes de terre pour toute une semaine, les dépose dans un panier en fer suspendu à la muraille. Il en prend deux – la troisième eût été pour le plaisir – il les mange froides, duvetées de moisissures… » (Jean Barbier, Le Curé d’Ars et Pauline Jaricot, op. cit., p. 41).

Le curé d’Ars adopte une vie simple, pauvre et même de pénitence. Comme le faisaient discrètement certaines personnes de l’époque, « il se flagelle jusqu’au sang, se confond avec la souffrance, devient un véritable objet de douleur. Il tremble dans toutes ses fibres. La fièvre de l’expiation l’a empoigné… Il se rencogne sous la poutre de l’épreuve volontaire, s’identifie avec le Christ en croix… dans le délire du pardon, de la pitié qu’il implore, il détourne sur lui, le bras prêt à frapper. » (Jean Barbier, Le Curé d’Ars et Pauline Jaricot, op. cit., p. 47) Dans le village, les rumeurs courent. Pour certains, c’est un prodige, un homme extraordinaire qui « jeûne, couche sur une planche, se fouette jusqu’au sang. On dit qu’il a fait cela pour les pécheurs ». Certains trouvent cela curieux, car « jamais on n’a vu pareil curé, jamais on n’a vu curé portant tant d’intérêt au salut de ses paroissiens » (Jean Barbier, Le Curé d’Ars et Pauline Jaricot, op. cit., p. 49). Bientôt, rires et blasphèmes vont s’évanouir. Plus de meurtres, d’ivrogneries ; les disputes se raréfient, mais le démon ne s’avoue pas vaincu. De plus, les pauvres d’Ars affluent et les fonds s’épuisent.

Quand l’abbé Vianney arrive à Lyon, il va dire sa messe à Fourvière et solliciter à nouveau Pauline Jaricot. Avant de répondre à la demande du prêtre, Pauline remarque une déchirure sur son vêtement qu’elle va réparer et elle lui dit : « J’ai une bonne nouvelle à vous annoncer : mon frère Philéas, qui était un vrai mondain, s’est converti et a fait vœu de consacrer sa vie au service des pauvres. Il a reçu une lettre d’un Monsieur Rondet qui le supplie de procurer des subsides aux Missions en mettant sur pied une petite société qui récolterait des fonds. Cette commission embarrasse mon frère… J’ai lu dans un Bulletin des Missions que les protestants possèdent dans leurs temples en Angleterre un tronc dans lequel on conseille de déposer un sou chaque dimanche pour les Missions. Vous voyez la valeur que cette petite offrande multipliée à l’infini peut former. Si l’on faisait la quête tous les dimanches, et que tous les Lyonnais y missent un sou, quelle somme à la fin de l’année ! » (Jean Barbier, Le Curé d’Ars et Pauline Jaricot, op. cit., p. 51).

M. Vianney encourage Pauline, même si celle-ci a peur que les sommes récoltées ne suffisent pas pour répondre aux besoins illimités des missions. Le curé d’Ars y voit une œuvre de Dieu et le départ d’une œuvre grandiose. « Laissez faire Dieu, Mademoiselle. Il saura bien trouver son instrument. Persévérez. Ne vous laissez pas rebuter par les difficultés. Votre œuvre grandira. » (Jean Barbier, Le Curé d’Ars et Pauline Jaricot, op. cit., p. 52). Pauline va avoir la claire vision du plan qu’elle doit adopter : chaque personne qui accepte le projet de Pauline doit trouver dix associés qui acceptent de donner chacun un sou par semaine. Il faut une personne de confiance qui accepte de recevoir de dix chefs de dizaines la collecte de leurs associés et un chef réunissant les collectes de dix chefs de centaines pour verser le tout à un centre commun.

Quand Pauline a communiqué ce projet à l’Abbé Würtz, celui-ci n’avait-il pas répondu : « Ma chère Pauline, vous êtes trop bête pour avoir inventé ce plan. Donc, il vient de Dieu. Aussi, non seulement, je vous permets, mais je vous engage fortement à le mettre à exécution. » (Jean Barbier, Le Curé d’Ars et Pauline Jaricot, op. cit., p. 53). Plus tard, quand Pauline va « se voir évincée de son œuvre et, pour réduire la révolte de sa nature, elle se mortifie et, à l’exemple de son ami Vianney, se cravache » (Jean Barbier, Le Curé d’Ars et Pauline Jaricot, op. cit., p. 58).

Dans tous ses malheurs, Pauline va être accompagnée par son ami, le curé d’Ars qui a une étonnante connaissance des âmes, lui qui, si souvent, « s’enferme derrière le guichet grillagé dix-huit nuits consécutives » (Jean Barbier, Le Curé d’Ars et Pauline Jaricot, op. cit., p. 61), pour la demande de pardon de diverses personnes. Parfois, celles-ci doivent attendre plusieurs jours avant que le curé d’Ars les entende en confession. « Un monde étonnamment bigarré se presse chaque jour au guichet derrière lequel se tient le pauvre prêtre, exténué de jeûne et de veille. Pas de vacances pour l’homme enchaîné nuit et jour, pas de promenades, pas de distraction, pas de joie, pas d’amis ; seule, la douleur d’être plongé dans la boue des âmes. » (Jean Barbier, Le Curé d’Ars et Pauline Jaricot, op. cit., p. 66). C’est sans doute un peu exagéré sur certains points. En effet, Ars est devenu le village où l’on va voir « un curé phénomène » (op. cit., p. 78-79), un curé extraordinaire qui fait des miracles. Il lit dans les âmes, sa parole attire et elle persuade le pécheur qui l’a écoutée à emprunter un chemin de conversion et de repentir. C’est ainsi que le Curé d’Ars détruit le royaume du démon (Jean Barbier, Le Curé d’Ars et Pauline Jaricot, op. cit., p. 129).

Pauline est une amie sûre ; le curé d’Ars sait qu’il peut compter sur elle. Il pense à Pauline, intercède pour elle surtout quand il sait qu’elle est malade. N’est-elle pas, pour le Curé d’Ars, « la créature qu’il a vu mourir à elle-même et s’effacer pour permettre au Christ de vivre en elle » (Jean Barbier, Le Curé d’Ars et Pauline Jaricot, op. cit., p. 90) ? Il l’invite à faire comme les pauvres quand elle sombre dans des difficultés financières et que s’anéantissent ses projets pour « combler les misérables » (Jean Barbier, Le Curé d’Ars et Pauline Jaricot, op. cit., p. 134) : « Empruntez dans les Plaies du Sauveur de quoi payer vos dettes. Renoncez-vous. Ne tenez à rien de ce que vous faites, mais à Dieu seul. Souffrez les importunités avec un visage toujours gai. On est vif parce qu’on est orgueilleux. Soyez patiente. C’est le moyen de vous renoncer. » (Jean Barbier, Le Curé d’Ars et Pauline Jaricot, op. cit., p. 92.) Pauline est généreuse pour les pauvres, tout comme le curé d’Ars qui considère la poche de sa soutane comme « la poche à la navette. L’argent y entre et en sort constamment pour les pauvres. Le soir, il compte ses bénéfices. S’il n’a plus rien, il emprunte… » (Jean Barbier, Le Curé d’Ars et Pauline Jaricot, op. cit., p. 68) Pauline prie pour son ami et celui-ci prie pour elle en particulier depuis que Lyon connait l’explosion révolutionnaire de 1830, avec « des insurgés » (Jean Barbier, Le Curé d’Ars et Pauline Jaricot, op. cit., p. 98) Le Curé d’Ars donne, partage, tout comme l’Océan qui « reçoit toutes les eaux de la terre parce qu’il les rend toutes au ciel » (Jean Barbier, Le Curé d’Ars et Pauline Jaricot, op. cit., p. 99). Alors que Pauline prie afin que les « esprits mauvais » quittent la ville de Lyon, dans le petit village d’Ars, on prie et fait pénitence (voir Jean Barbier, Le Curé d’Ars et Pauline Jaricot, op. cit., p. 73.)

Jean-Marie Vianney et Pauline ont de multiples ressemblances « malgré les contrastes frappants, entre le pauvre d’Ecully et la séduisante fille d’un soyeux ; entre l’homme enchainé dans son confessionnal qui lutte jour et nuit à la tête des pécheurs et les conduit au pardon, et la femme alourdie qui va dans les rues de Lyon, harcelée par ses créanciers ; entre ce petit curé rapiécé qui poursuit son épopée derrière le guichet des aveux et la victime trahie par des hommes d’argent. Ils sont grands dans l’épreuve, la ruine, les privations, la misère, l’abandon, le dénuement, l’obscurité de la terre. » (Jean Barbier, Le Curé d’Ars et Pauline Jaricot, op. cit., p. 130). Le curé d’Ars a sans doute raison de dire à Pauline « Dieu vous rendra un jour tout ce que vous aurez essayé pour lui. Et elle aura retenu la leçon de son ami, le curé d’Ars, quand il lui a indiqué la croix de bois en lui demandant prendre comme devise jusqu’à la fin ceci : « Dieu seul pour témoin, Marie pour soutien. Et puis rien. » (Jean Barbier, Le Curé d’Ars et Pauline Jaricot, op. cit., p. 140.) Pauline apparaît comme une âme ardente, « assoiffée de la vie (aimée et être aimée), de cette âùe entière qui ne fait rien à demi, "ou l’amour sera son Dieu, ou Dieu sera son Amour", et qui parvient à triompher d’elle-même, voilà une haute aventure » (Jean Barbier, Le Curé d’Ars et Pauline Jaricot, op. cit., p. 148). Comme le curé d’Ars, Pauline a édifié dans le silence et l’amour des châteaux intérieurs, en dévoilant la force de l’amour, la force de l’Évangile dont on peut vivre si l’on accueille sincèrement Jésus-Christ au fond de son cœur et qu’on le laisse vivre en soi.